« J’inclinerais pour ma part à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie-là. Il y a 1200 ou 1300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que génétiquement ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense ».
Ces propos, tenus par Nicolas Sarkozy, ont déclenché un petit scandale dans le microcosme. Si cela n’a rien d’étonnant en soi – lorsque l’on connaît un peu l’intelligentsia parisienne –, il ne paraît pas inutile de s’arrêter sur le caractère assez stupéfiant de certaines réactions.
Dans ce paragraphe, NS exprime une idée principale et trois exemples. L’idée générale est que les caractères innés (les gènes) jouent un rôle très important dans le comportement des êtres humains. Les exemples où les gènes jouent un rôle sont la pédophilie, le suicide et le cancer (dont on ne parlera pas, personne ne contestant le fait qu'il existe des prédispositions génétiques au cancer).
La première chose à noter est qu’il ne s’agit pas d’une thèse de nature morale ou politique que l’on pourrait juger bonne ou mauvaise, acceptable ou scandaleuse (à la différence d’une proposition du type « je suis favorable au dépistage à la naissance des pédophiles »). On est en présence d’une thèse de nature empirique, appelant uniquement une qualification de type « vrai » ou « faux ».
Or dans un monde idéal, chacun devrait être libre d’avancer des propositions empiriques (vraies ou fausses) sans être accusé de tous les maux (hormis celui d’être stupide). La question de savoir si la pédophilie a une base biologique est intéressante, tout comme la question de savoir si une augmentation du SMIC détruit des emplois non qualifiés. Elle appelle d'abord une expertise de type scientifique, et non des arguments moraux ou politiques.
Et lorsqu’on s’attaque à des questions scientifiques, il faut mieux mettre ses affects de côté. On peut parfaitement penser qu’il serait regrettable et triste que la pédophilie soit en partie innée (ou qu'une augmentation du SMIC détruise des emplois). Mais cela ne doit pas influencer notre jugement sur le caractère vrai ou faux de ces propositions (car la vérité peut être triste).
Ces préalables posés, et avant d’en venir au fond de l’affaire (NS a-t-il tort ou raison ?), examinons quelques-unes des réactions à ces propos.
Bayrou a déclaré la chose suivante : "Quand Nicolas Sarkozy en vient à dire qu’un bébé peut naître en ayant en lui une condamnation à la perversité, dans quelle société vit-on ?". Cette phrase est proprement incompréhensible. Plus personne ne conteste l’idée selon laquelle la schizophrénie ou la psychopathie comportent un puissant soubassement génétique. Un bébé peut par conséquent naître en portant en lui des tendances anti-sociales propres aux psychopathes ; personne n’en conclut qu’il faille pratiquer je ne sais quel eugénisme à leur endroit. Même si la thèse de Sarkozy était manifestement fausse, elle n’impliquerait en rien une « rupture avec l’humanisme » comme le prétend Bayrou.
Autre réaction intéressante, celle de Le Pen : "Si nous sommes habités par des gènes qui sont en eux-mêmes criminogènes, ça veut dire que nous n'avons pas la responsabilité de ce que nous faisons. Il a dû se tromper, ce n'est pas possible". Raisonnement intéressant : « X ne peut pas être vrai, car si X est vrai, il n’y a plus de morale possible ». Galilée a bien souffert de ce raisonnement : si la Terre tourne autour du soleil, alors tout un pan du catéchisme de l’époque s’effondre ; la Terre ne peut donc pas tourner autour du soleil. Il va sans dire que Le Pen fait également erreur sur les « conséquences » qu’il décrit. On peut parfaitement penser que les pédophiles soient en partie déterminés génétiquement et ne pas pour autant souhaiter les exonérer de leur responsabilité pénale – même s'ils ne pouvaient s'empêcher de préférer sexuellement des enfants, ils pourraient toujours s'empêcher de les agresser.
Au chapitre des réactions curieuses (pour ne pas dire plus), le summum a tout de même été atteint par David Abiker (qui nous a habitué à mieux) : « En suggérant que la pédophilie ne relève pas d’un tabou sociétal et culturel pour rejoindre le domaine de l’inné et de la génétique, Nicolas Sarkozy dénie à la société la possibilité de produire elle-même les interdits moraux qui la protègent de ses propres errements. A quoi bon distinguer par l’éducation et la morale, l’enfant de l’adulte, le père de la mère, la sœur de son frère si la science régit à notre place les rapports sociaux, d’amitié et d’amour ». Il va de soi que la question de savoir si la pédophilie est innée ou acquise n’influence en rien le jugement que chacun peut avoir sur une telle pratique – et les « interdits moraux » qu’une société peut édicter. La science ne produit aucune norme, elle se contente de dire ce qui est vrai et ce qui est faux. Nous les êtres humains décidons de ce que nous voulons tolérer ou non. Or personne ne souhaite que les agressions sexuelles envers les mineurs soient tolérées, qu’il existe des gènes favorisant la pédophilie ou non.
Venons-en à la question la plus intéressante (mais aussi la plus difficile) : ce que dit NS est-il vrai ou faux ? Tout dépend, tout d’abord, ce qu’on souhaite lui faire dire. A la lecture de l’ensemble du paragraphe, j’aurais tendance à penser que la thèse de NS est que la pédophilie, comme le suicide des jeunes, est en partie déterminé génétiquement. Je ne crois pas qu’on puisse affirmer que NS pense que ces comportements sont génétiquement déterminés à 100% (ce qui serait bien évidemment ridicule).
A cet égard, il est intéressant de noter qu’Elisabeth Roudinesco ne paraît pas saisir la différence entre une détermination à 100% et une prédisposition génétique : « Certes, il existe des maladies psychiatriques d'origine génétique. Mais ce n'est pas le cas du suicide, qui peut prendre des formes très différentes selon les cultures, ni de la pédophilie, dont les statistiques montrent qu'elle peut être soignée par la psychothérapie ». Que le suicide puisse prendre des formes différentes selon les cultures ou que la pédophilie puisse être soignée par la psychothérapie ne sont en rien des arguments infirmant la thèse selon laquelle la pédophilie et le suicide pourraient avoir des prédispositions biologiques. Le besoin de se nourrir est universel est génétiquement déterminé ; cela ne l’empêche pas de prendre des formes très différentes selon les cultures. De même, certaines phobies (ou TOC) sont innées ; cela ne les empêche pas de pouvoir être soignées par la psychothérapie.
En d’autres termes, parler de prédispositions génétiques, ce n’est pas défendre « le stéréotype réductionniste d’un déterminisme génétique du destin de chacun » dénoncé à juste titre par Axel Kahn. Avoir une prédisposition génétique au cancer signifie par exemple qu’on aura davantage de chances de développer un cancer qu’un individu qui n’a pas cette prédisposition génétique. Cela n’a jamais signifié que l’on est sûr à 100% de développer un cancer ; l’environnement (en l’occurrence la façon de se nourrir, etc.) aura une grande influence.
Mais tout ceci relève de l’évidence et de la banalité. La seule question vraiment intéressante dans ce débat est de savoir si effectivement les individus ont des prédispositions génétiques à la pédophilie ou au suicide. Etant donné ce que l’on sait en 2007 sur l’inné et l’acquis – voir notamment à ce sujet l’incomparable « Comprendre la nature humaine", de Steven Pinker – je dirais que c'est parfaitement possible.
Prenons la question du suicide (je ne me prononcerai pas sur celle de la pédophilie, n’ayant connaissance d’aucune étude sérieuse sur cette question). Axel Kahn apporte de l’eau au moulin des « innéistes » en indiquant l’existence d’un gène « qui semble accroître la fréquence avec laquelle de graves malheurs de la vie entraînent, chez les personnes qui en sont victimes, une dépression pouvant aller jusqu’au suicide ». Autrement dit, les personnes qui possèdent ce gène auront davantage tendance à se suicider en cas de graves problèmes que ceux qui ne le possèdent pas. On ne saurait mieux démontrer l’existence d’une prédisposition génétique au suicide ! D’autres études vont d’ailleurs dans le même sens, ce qui a incité des chercheurs canadiens à vouloir explorer la question.
Conclusion : les propos de Nicolas Sarkozy ont fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose. D’une part, il se peut qu’il ait raison sur le fond, et d’autre part, même s’il se trompe (ce qui est parfaitement possible), rien ne semble justifier les procès d’intention bien-pensant et incultes qui se sont abattus sur lui.