La question posée dans le titre de ce billet peut paraître curieuse. Après tout, lorsqu'on juge et condamne quelqu'un comme Saddam Hussein, ce n'est pas pour que cela serve à quelque chose, mais pour que la justice soit rendue, pour que l'infâme tyran reçoive le châtiment qu'il mérite.
Aussi intuitif que qu'il puisse paraître, ce raisonnement va à l'encontre de tout une tradition de pensée qui considère que le simple "mérite" ou la seule notion de "justice" ne peuvent légitimer la sanction pénale. Comme l'a montré Beccaria, une peine qui ne sert à rien n'est rien d'autre qu'un mal supplémentaire à celui qui a déjà été produit par le crime. Un châtiment dénué d'effets positifs est un mal qui s'ajoute à celui qui a été commis, non un mal qui l'annule : "Les cris d'un malheureux seraient-ils capables de faire revenir le temps passé et de révoquer les actes qu'il a commis ?" Pour le dire autrement, le "mérite" n'est-il pas cette équation mystérieuse, dénoncée par Hart, par laquelle deux maux, la dépravation morale et la souffrance sont miraculeusement transformés en bien ?
Bon nombre de gens sont à peu près d'accord avec cette idée et assignent à l'institution pénale des objectifs pragmatiques, comme la prévention de la criminalité. Mais dès qu'il s'agit de juger des individus ayant commis des crimes odieux, le fait que la sanction produise ou non des conséquences positives devient hors sujet et le châtiment purement rétributif paraît légitime.
Je pense au contraire que le talion n'a pas plus de sens lorsqu'il vise Saddam Hussein que quand il vise Jean Valjean. Alors qu'est-ce que la condamnation d'un dictateur comme Saddam peut produire de bon ?
Certaines des conséquences attendues de la sanction pénale en général sont sans objet dans les cas de ce type. Il ne peut s'agir de favoriser la réinsertion du condamné, ni de le dissuader de recommencer, parce qu'on peut difficilement imaginer infliger une autre peine que la mort ou la perpétuité.
D'autres, en revanche, on plus de sens. Il peut s'agir de "neutraliser" le condamné : laisser Saddam en liberté, ce serait courir le risque qu'il mette en péril la fragile démocratie irakienne.
On peut également attendre de la sanction qu'elle dissuade les autres dictateurs de commettre des exactions, en leur montrant ce qui les attend lorsqu'ils se font déposer. J'avoue que je reste dubitatif quant à un tel effet, mais on ne sait jamais.
Mais le plus important, dans cette affaire comme celle des procès de Nuremberg ou de Tokyo, c'est probablement de permettre au peuple de tourner une page sombre de son histoire et d'aller de l'avant. Par exemple, les victimes de Saddam ne pourraient pas faire confiance au nouveau régime s'il laissait l'ancien dictateur partir en exil (sans compter que cela les inciterait à se faire justice eux-mêmes). Il faut toutefois rester prudent avec ce type de spéculations, car il n'est pas du tout acquis que les effets de la condamnation soient positifs. En l'occurence, on ne peut écarter la possibilité qu'elle contribue au contraire à exacerber les relations entre les communautés irakiennes.
Il n'est donc pas absolument certain que la condamnation de Saddam serve à quelque chose, mais on peut parfaitement penser que ses conséquences seront globalement positives. C'est pourquoi elle ne me choque pas.
Ce qui n'est absolument pas le cas de la chasse aux criminels nazis, qui se poursuit encore aujourd'hui. Quelqu'un pourra peut-être m'éclairer, mais je ne vois vraiment aucune raison de persécuter ces malheureux vieillards.
La condamnation ne produit rien de bon, mais le spectacle de son exécution, la vue de son cadavre, voilà ce qu'attendent les hommes vigoureux qui se repaissent de la cruauté et du sang. Votre misérable raisonnement utiilitariste (" quoi bon une souffrance particulière qui ne contribue pas à un accroissement du bien être général") est celle des eunuques que l'on veut nous faire devenir. Saddam est un homme, un vrai. Je suis pour qu'on le tue simplement parce qu'il a perdu. Vite fait, bien fait!
Rédigé par : Morès | 07 novembre 2006 à 17:02
L'Irak ne peut pas devenir pleinement libre sans avoir refermé la parenthèse Saddam Hussein.
Voilà à quoi sert la pendaison de Saddam Hussein.
drzz
http://drzz.over-blog.org
Rédigé par : drzz | 07 novembre 2006 à 19:16
et moi je demande combien de des dictateurs sont libre et est ce que en doit attendre bush pour les autres.
Rédigé par : nul | 07 novembre 2006 à 22:12
Intéressante approche, merci de nous l'avoir signalée en commentaire du billet sur les réactions à la condamnation de Saddam Hussein sur "Un swissroll"!
http://swissroll.info/?2006/11/05/820-abolitionnisme-indecent
Rédigé par : François Brutsch | 08 novembre 2006 à 01:51
Replaçons Beccaria dans son contexte : les peines de son temps étaient des châtiments corporels comme la roue.
Ses propositions tendaient vers l'utilisation de l'enfermement.
C'est lui faire dire ce qu'il n'aurait sans doute jamais oser suggérer qu'il ne sert à rien de punir un criminel, qu'il ne sert à rien de juger et de mettre à l'amende.
« Les cris du malheureux » désignent bien des cris de souffrance sous la torture.
Concernant les nazis, il a été décidé que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. Manifestement, il y a eu un consensus suffisement fort pour estimer qu'il était toujours utile de permettre de mettre un criminel contre l'humanité, même un demi-siècle plus tard, face à ses actes.
Rédigé par : Marcel Patoulatchi | 08 novembre 2006 à 20:32