L’INSERM a fait paraître l’année dernière un rapport (synthèse ici) intitulé « Troubles de conduite chez l’enfant et l’adolescent ». Ce travail de synthèse de la littérature (majoritairement anglo-saxonne) a fait naître une contestation virulente chez bon nombre de professionnels de la petite enfance, laquelle s’est matérialisée sous la forme d’une pétition que les auteurs ont nommé « pas de zéro de conduite pour les enfants de trois ans ».
Un colloque – rapporté par Libération – s’étant tenu récemment à l’INSERM à ce sujet, j’en profite pour dire à quel point je suis scandalisé par cette polémique et par l’ignorance et la mauvaise foi de la plupart des adversaires du rapport.
Avant toute chose, il ne faut pas se laisser impressionner par la longue liste des psychologues, psychiatres et pédopsychiatres signataires de la pétition. Le même phénomène est à l’œuvre lorsque les enseignants, magistrats et sociologues (pour ne parler que de ceux là) sont confrontés aux mêmes types de défi :
1. D’un point de vue méthodologique, les pédopsychiatres ne peuvent pas évaluer scientifiquement leurs méthodes de traitement, pas plus que les enseignants peuvent évaluer correctement l’efficacité de leur méthode de lecture ou que les juges peuvent évaluer le caractère dissuasif ou non de la sanction pénale. La raison est simple : chacune de ces professions est confrontée à un micro-échantillon à partir duquel on ne peut conclure quoi que ce soit de façon convaincante. Les études statistiques, et en particulier les méta-analyses donnent au contraire des résultats particulièrement puissants, bien que toujours contestables (comme tout résultat scientifique).
2. D’un point de vue plus psychologique, les résistances sont naturelles pour plusieurs raisons :
- Les pédopsychiatres français utilisent des méthodes qui ont peu à voir avec celles préconisées par l’INSERM. Un tel rapport conduit potentiellement à une remise en cause personnelle de leur travail ainsi qu’à une obligation de changer leurs habitudes. Le même phénomène est à l’œuvre chez les quelques enseignants qui ont toujours suivi une méthode semi-globale, ou chez les sociologues « de terrain » qui redoutent (non sans raison) « l’impérialisme » des sciences économiques, et en particulier la théorie du choix rationnel.
- Plus qu’une remise en cause de leurs habitudes, ce type de rapport peut potentiellement ôter tout l’intérêt que bon nombre de pédopsychiatres français associent à leur métier. Car il s’agit moins de construire un traitement individualisé et créatif avec chaque patient que d’appliquer « bêtement » (dans leur esprit) des recettes toutes faites, que ce soit dans le dépistage ou dans le traitement. On retrouve la même réaction chez les juges, dès lors que l’on parle de remettre en cause, même légèrement, l’individualisation de la peine (dans un but dissuasif, par exemple) : appliquer un tarif n’est pas ce que veulent des magistrats qui se sont donnés pour vocation de « scruter les âmes » et de rendre justice.
- Ce type de rapport peut enfin provoquer un rejet « moral » ou « politique » chez ceux qui ont acquis la malheureuse habitude de politiser les données empiriques. En l’occurrence, parler de facteur « génétique » dans les troubles du comportement (lesquels peuvent conduire à la délinquance) choquera ceux qui croient qu’être progressiste consiste à ne croire qu'aux causes « sociales ». De même, la théorie du choix rationnel est rejetée par une grande majorité de sociologues français notamment parce qu’elle est considérée comme plutôt « de droite ». Et de même, la résistance à la méthode syllabique (ou simplement à départ syllabique) vient du fait qu’on l’associe parfois à une nostalgie suspecte, voire réactionnaire.
3. Et puis il y a un autre phénomène, cette fois propre à la question des troubles de conduite. Les psychanalystes français sont contraints d’utiliser toutes les méthodes qui sont à leur disposition pour ne pas disparaître, noyés par l’apport de la biologie moderne et des thérapies cognitives et comportementales. Alors quand sort un rapport scientifique, qui se moque bien de la « subjectivité » et qui ne voit pas pourquoi il serait "anti-humaniste" de mettre en évidence les déterminismes auxquels nous sommes soumis, tout est bon pour le décrédibiliser.
M’étant un peu laissé emporter par mon élan, je reviendrai une prochaine fois sur le contenu du rapport et le fond des critiques.
A propos des élections, j'ai trouvé une analyse assez pertinente qui compare point par point ce que l'on sait déjà des programmes de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal.
On peut y voir ce qui les rapproche et ce qui les différencie radicalement. C'est plutôt intéressant, ça se passe là :
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Rédigé par : John | 28 novembre 2006 à 19:50